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· DIALOGUE

Autisme: Sophie Janois,

la parole est à la défense.

Comment en êtes-vous venue à devenir l’avocate des parents d’enfants autistes ?

C’est la confrontation au secteur psychiatrique qui m’a engagée à me spécialiser dans le droit de la santé. J’avais une belle-fille bipolaire et je trouvais que la psychiatrie était très influencée par la psychanalyse et que beaucoup de choses étaient en dehors du respect du droit. Dans le cadre de mon Master 2 dans le droit des entreprises de santé (droit médico-social et sanitaire), que j’ai suivi à Montpellier, je devais faire un stage. Je l’ai fait dans une association pour autistes à Paris et j’ai alors découvert la réalité des parents d’enfants autistes. J’ai demandé à faire, en lieu et place de mémoire, un guide sur les droits des personnes autistes, de la naissance à la mort. J’ai consacré toute une année à ce sujet . A partir de ce moment-là j’ai pris la décision d’aider ces familles. Je me suis fait connaître sur les réseaux sociaux via Facebook en prenant position sur des décrets, en donnant des conseils juridiques. J’ai commencé également à parler de ma vie d’avocate. J’ai été l’une des premières à m’exposer ainsi sans pseudonyme puis j’ai gagné des procès, initié des jurisprudences qui ont fait avancer les choses, même si ça reste insuffisant. J’ai pu montrer que les parents d’enfants autistes ne se laissaient plus faire juridiquement parlant, et j’ai fait émerger des problématiques comme le placement abusif des enfants autistes.

Etes-vous la seule avocate en France à défendre les personnes autistes ?

Nous sommes peu nombreux et peut-être suis-je la seule à ne défendre "que" des personnes qui ont des troubles neurodéveloppementaux: personnes autistes, personnes avec TDAH (troubles de l’attention avec hyperactivité), ayant des troubles dys ou ayant des maladies génétiques provoquant des troubles similaires à l’autisme. Je travaille dans toute la France. Il est important que les familles pensent à souscrire une assurance de protection juridique car, quand on a un enfant autiste, on est susceptible de faire valoir ses droits à tout moment. Je donne également chaque jour pendant plusieurs heures des conseils juridiques gratuits aux familles d’enfants autistes, je fais également de nombreuses conférences pour que les personnes soient en mesure de connaître leurs droits à l'égard des institutions.

Pourquoi avez-vous décidé d’écrire le livre « La cause des autistes » (Editions Payot et Rivages, 2018) ?

J’éprouvais le besoin personnel de dénoncer ce que je vivais. J’étais témoin d’une injustice qui était tue et je ne pouvais pas rester silencieuse. J’avais envie de dénoncer cette situation mais aussi de donner de l’énergie et de l’espoir aux familles, de leur dire qu’elles n’étaient pas seules. Je voulais également m’adresser au grand public. J’ai donc décidé de raconter les histoires de certains clients. Je n’ai retenu que les exemples dont je me souvenais, mais derrière chaque histoire que je raconte, il y en a cent autres que j’ai accompagnées.

Comment cela se fait-il d’après vous qu’alors même que l’efficacité de la méthode ABA est reconnue par la Haute Autorité de Santé, les personnels de l’Education Nationale, de l’Aide Sociale à l’Enfance, les juges, les médecins n’y soient pas formés ?

Je ne mettrais pas tous les professionnels sur le même plan. Ceux d’entre eux qui ont affaire à l’autisme de manière ponctuelle devraient être informés, plutôt que formés, sur ce que préconise la Haute Autorité de Santé. Aujourd’hui un certain nombre de juges croient encore qu’il existe une guerre de chapelles entre psychanalyse et interventions éducatives et psycho-comportementales alors même que la HAS a tranché depuis 2012. En revanche tous les professionnels en contact régulier avec les enfants (enseignants, accompagnants des élèves en situation de handicap, personnel de l’ASE, médecins) devraient être formés.

Quels sont selon vous les obstacles à une inclusion scolaire réussie ?

Il y a le manque de formation bien-sûr. Mais il y a aussi la volonté des enseignants qui n’est pas toujours effective. Il arrive aussi que les écoles refusent l’aide de professionnels. Il faudrait que les psychologues libéraux puissent venir dans les écoles par exemple. Ce que je reproche au système scolaire c’est de ne pas prendre en compte le niveau de développement de l’enfant. J’ai vu par exemple un enfant passer de la grande section au CE2 à cause de l’âge, c’est aberrant. On devrait suivre l’évolution de l’enfant, le prendre dans sa globalité, tenir compte de son âge, de ses compétences, de la manière dont il perçoit son âge et sa différence. Il faudrait voir ce qui est le mieux pour l’enfant et pas pour l’école. Il y aussi des enseignants volontaires et ceux-là sauvent des enfants. Bien-sûr il faut former correctement les AESH, diminuer les effectifs des classes et surtout tenir compte de la parole des parents. Il me semble ahurissant qu’il y ait encore des directives de certaines inspections pour que l’AESH ne communique pas avec les parents. Je pense que pour qu’il y ait une inclusion réussie il est important d’accepter l’aide de professionnels, d’écouter, d’ouvrir son esprit. Il ne faut pas oublier aussi que les approches psycho-éducatives servent à tous les enfants de la classe et que les enfants handicapés ne tirent pas vers le bas les autres élèves, contrairement à ce que croient certains parents.

Pour moi la réponse médico-sociale doit être le dernier recours quand on a tout épuisé car il est faux de dire que le médico-social propose un enseignement scolaire. Le problème c’est que le système médico-social s’est construit sur l’occupationnel au lieu d’offrir une prise en charge vers l’autonomie. Il faut une réforme de ce système. L’établissement devrait être un passage, une aide ponctuelle et non une solution à vie. Pour les adultes qui sont en établissement et pour lesquels un retour à domicile n’est pas possible, il faut faire entrer des professionnels compétents qui permettent aux personnes d’évoluer. Aujourd’hui des solutions sont trouvées pour les adultes, de type appartements « thérapeutiques » , qui me semblent plus à même de répondre à l’inclusion sociale.

Où en est l’affaire Rachel que vous évoquez longuement à la fin du livre ? Y a-t-il un espoir que Rachel récupère la garde de ses enfants ?

Rachel voit ses enfants tous les quinze jours. Elle a pu obtenir un hébergement le week-end. Les enfants sont très heureux de voir leur mère, ce sont des moments ultra privilégiés. Mais on a toujours peur d’une nouvelle invention des services de l’ASE qui leur permettrait de réduire les droits de Rachel, vu que, par le passé, ils n’ont pas manqué d’imagination en la matière. Je n’ai jamais véritablement compris la motivation des jugements et des rapports de l’ASE qui ont privé les enfants de leur mère. Aujourd’hui les préconisations médicales en termes de suivi des enfants ne sont pas respectées et aucune prise en charge conforme aux recommandations de la HAS n’est proposée aux enfants.

A la question de savoir si Rachel retrouvera un jour ses enfants, j’ai envie de croire que la Justice finit toujours par triompher et qu’un jour des personnes bienveillantes et formées seront capables de se saisir de cette affaire et d’en changer le cours.

Que pensez-vous de la concertation lancée par Mr Blanquer et Mme Cluzel « Ensemble pour une école inclusive ! » ? Sera-t-elle selon vous à la hauteur des besoins, des espoirs et de l’urgence de la situation ?

Sur le papier c’est très bien. Pour moi il ne fait pas de doute qu’il y a une vraie volonté de la part des différents ministères d’inclure scolairement et socialement les enfants autistes. Néanmoins sans une réforme législative et des obligations clairement établies à l’égard du corps enseignant et de tout professionnel de l’Education Nationale, rien n’obligera qui que ce soit à s’y conformer. Il existera évidemment des résistances locales.

On comprend à la fin de votre livre à quel point vous êtes déterminée. Dans certaines pages vous évoquez néanmoins votre lassitude parfois, votre tristesse aussi. Où trouvez-vous le courage et la force de persévérer dans votre combat ?

C’est un métier difficile mais passionnant. En effet on alterne régulièrement entre la joie d’avoir gagné et la peine d’avoir perdu lorsqu’on travaille sur des sujets aussi sensibles humainement. Néanmoins j’ai la chance d’avoir une personnalité très optimiste qui est davantage renforcée par les victoires, les encouragements et les remerciements qu'il m'arrive de recevoir.

Propos recueillis par Cécile G.