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· SPECTACLE

La Promesse du Papillon,

Damien Luce et son ami imaginaire

J’ai découvert la pièce « La promesse du papillon » par une amie qui l’a beaucoup aimée et me l’a conseillée. Je ne l’ai pas encore vue, mais pour tromper mon impatience j’ai eu envie d’aller interroger son auteur, Damien Luce.

Le titre de votre pièce m’intrigue et m’attire. La promesse m’évoque un engagement et le papillon une certaine légèreté, quelque chose donc de l’ordre de l’alliance de la force et de la fragilité. Comment vous est venu ce titre ?

Le titre de la pièce a beaucoup évolué… Ce n’est pas un exercice facile que de trouver un titre à une pièce, à un livre, etc. En premier lieu, l’explication de ce titre est à chercher dans le texte de la pièce. L’un des personnages, Typhanie, dit à son thérapeute : « Oh, j’ai des chenilles toutes velues dans le ventre, encore plus que d’habitude. », à quoi il répond : « En général, on appelle ça des papillons. » - Les miens sont encore à l’état de chenilles , rétorque-t-elle. « C’est déjà une promesse de papillon », conclut le thérapeute. Le titre évoque donc, de façon littérale, la promesse d’un amour naissant. Mais de façon plus imagée, il faut y voir le papillon en opposition à la chenille. Les personnages de la pièce ont tous deux des difficultés à se lier aux autres, à communiquer, à s’envoler dans le monde et partir à la rencontre des gens. En cela, ils me font penser aux chenilles qui, dans le secret de leur chrysalide, sont coupées du monde, et attendent leur seconde naissance.

Comme vous l’expliquez dans la note d’intention, le handicap a toujours fait partie de votre quotidien parce que votre soeur est atteinte d’une maladie génétique. Vous lui avez consacré un livre, « Claire de plume », paru en 2017 aux éditions Héloïse d’Ormesson. Quelle sensibilité particulière cette vie familiale marquée par la fragilité vous a-t-elle donnée ? En quoi ce vécu a-t-il façonné votre rapport au monde ?

Le fait d’avoir grandi avec une personne « extra-ordinaire » m’a sensibilisé à la question de la différence, oui, et m’a surtout amené à me questionner sur la façon dont notre société aborde cette différence. J’ai coutume de dire que lorsque qu’une personne handicapée est créée, il y a en réalité deux handicaps, le sien, et celui du monde qui l’entoure. Car nous sommes souvent démunis face aux gens qui ne répondent pas à la norme. Cette notion de norme demanderait d’ailleurs à être définie. Plus j’avance dans la vie, plus je me rends compte que ce que l’on appelle la norme est en réalité une sorte de profil artificiel, auquel peu d’entre nous peuvent se targuer d’appartenir. Seulement, certains handicaps se voient, d’autre non. Les premiers sont étiquetés, les autres peuvent parfois engendrer des souffrances silencieuses.

Vous travaillez dans divers champs artistiques : le théâtre, la musique, la littérature. Est-ce une manière d’échapper à ces cases oppressantes de notre société qui a tendance à vouloir enfermer les êtres dans une identité unique et figée ?

Je n’ai pas l’impression de pratiquer plusieurs arts. Pour moi, tout cela est lié, et procède du même mouvement, celui de la création artistique, de l’expression. Je dirais simplement que la vie m’a conduit à maîtriser plusieurs « langues artistiques », la musique, les mots, le théâtre, mais le propos reste le même, exprimé dans ces différentes langues. Je pense que l’on gagnerait à pousser les jeunes à diversifier leurs moyens d’expression. On comprend mieux une montagne en l’abordant par plusieurs versants.

Dans votre pièce on suit un homme et une femme et leurs amis imaginaires. Au bas de l’affiche vous invitez les spectateurs à venir avec leur ami(e) imaginaire(e). Je suis très touchée par ce détail qui est aussi une manière de rappeler l’importance de l’imaginaire dans nos vies. Serait-il selon vous cette force qui nous aide à traverser les épreuves parce qu’il est l’expression de notre irréductible liberté intérieure ?

Picasso disait : « Tout ce qui peut être imaginé est réel ». Je suis sensible à cette phrase, et l’imaginaire est pour moi ce qui nous allège, ce qui déjoue une certaine gravité qui souvent nous maintient au sol. Une autre citation me vient, de Jean-Jacques Rousseau : « L’homme qui n’a pas d’imagination n’a pas d’ailes. » Alors oui, envolons-nous de temps en temps sur les ailes de l'imaginaire, ce qui n’empêche pas d’avoir également les pieds sur terre quand il le faut. Ce va-et-vient entre le sérieux et la légèreté me semble une saine façon de vivre.

Dans le dossier de présentation de la pièce, vous citez cet extrait :

TITO : Je ne pourrai jamais t'aimer.
DAMINO : Pourquoi pas ?
TITO : Parce que je sais que le jour viendra où j'aurai besoin que tu sois parfait, et où tu ne le seras pas. Le jour viendra où j'aurai besoin que tu sois tendre et tu seras impétueux. Je te voudrai généreux et tu seras mesquin, je te voudrai léger et tu seras grave. Et cela vaut pour moi aussi. Ce moment où tu me désireras poète et je serai prosaïque. Tu voudras une amie et je serai une amante. Ou l'inverse. Les humains sont toujours à contretemps, désaccordés. J'ai besoin d'unisson.

« La promesse du papillon » est-elle au fond une pièce sur l’altérité ? Est-elle une manière de dire que neurotypiques ou neuroatypiques nous avons tous du mal à communiquer parce que nous avons tendance à rêver l’autre d’après nos projections et nos désirs ?

Oui… J’ai voulu rapprocher deux personnages qui ont tous deux des difficultés à communiquer, à vivre dans le monde, l’un pour une raison qualifiée de « handicap » (le neuro-atypisme), l’autre à cause de ce que l’on considère simplement comme un trait de personnalité (la timidité). J’ai voulu les confronter à leurs propres maux, et montrer que le couple n’échappe pas non plus à l’étiquetage mentionné plus haut. Des règles tacites existent pour les gens qui s’aiment, et parfois ces règles enfreignent l’amour. Certaines personnes ne sont pas capables de les suivre, ce qui ne signifie pas qu’elles aiment moins. Elles aiment à leur manière.

Quels retours sur votre pièce vous ont particulièrement touché ?

Les retours de personnes autistes m’ont beaucoup ému. Il m’a été dit que mes personnage les touchent, et qu’ils aiment voir la question de l’autisme portée au théâtre, et de façon légère.

Propos recueillis par Cécile Glasman.